2 Juillet 2015
Depuis 2007, Sophie Tempère réalise une thèse sur l’évaluation sensorielle des dégustateurs, au Laboratoire Gilles de Revel, à la faculté d’œnologie de Bordeaux, sous la direction de Gilles Sicard, du CNRS de Dijon.
Sophie T. fût interviewée pour le magazine La Vigne, pour expliquer les observations de sa thèse, voici ce qu’il en ressort :
Sophie T. explique qu’il existe des variations de commentaires entre dégustateurs (« experts »), pour l’évaluation d’un même vin. Elle donne pour exemple la description des notes boisées d’un vin, définies par des dégustateurs, certains les qualifient de notes brûlées, tandis que d’autres les qualifient de notes boisées harmonieuses.
On voit bien avec cet exemple le caractère subjectif qui entre en ligne de compte, lors de la dégustation. Ils constatent tous que ce vin possède des notes boisées, et au moment de juger de la « qualité », ceux qui n’aiment pas disent « notes brûlées », ce qui n’est pas très flatteur, et ceux qui aiment disent « notes boisées harmonieuses » ce qui est séduisant à l’oreille.
Cela soulève la question suivante : les « experts » sont-ils conscients de prendre partie subjectivement ou pensent-ils être impartiaux et objectifs ?
Sophie T. nous explique également, que les dégustateurs sont généralement en accord sur les notions de typicité, mais qu’ils ne décrivent pas de la même façon un vin.
Pour être plus clair, voici un exemple : si « les experts » dégustent un vin issu de Chardonnay, ils seront d’accord sur le fait que ce vin est caractéristique du Chardonnay, ils reconnaissent ce vin comme tel, par contre lorsqu’on leur demande de décrire ce Chardonnay, certains le trouveront gras et lourd, quand d’autres le trouveront frais et bien équilibré.
Encore une fois, on voit que notre sensibilité influence notre perception et que nos qualificatifs sont subjectifs.
Sophie T. a fait gouter un vin rouge riche en géosmine (odeur ou goût de terre) à 72 dégustateurs professionnels ; 20% d’entre eux n’ont pas senti le caractère dû à la géosmine. Elle suppose que les dégustateurs n’ayant pas identifié la géosmine manque de compétences et souffre peut être du phénomène d’hyposmie* (* être peu ou pas sensible à certaines molécules aromatiques).
Sophie T. s’est penchée sur la sensibilité des dégustateurs ; pour se faire elle a évalué les seuils de détection de 10 composés aromatiques courant dans le vin, chez plus de 300 sujets « experts ». Elle a choisi des odeurs agréables et d’autres significatives de défaut qui ont été diluées dans de l’eau. Elle a fait des constats comme : les sujets les plus sensibles à l’IBMP (odeur de poivron vert dans le Cabernet Sauvignon), repèrent ce composé à des doses milles fois inférieures à celles que perçoivent les sujets les moins sensibles. Ces écarts se sont vérifiés sur d’autres composés.
Ici la question qui n’est pas posée est : Est-ce que le fait que nous aimions ou non une odeur nous y rend plus sensible ? Ou est-ce parce que nous sommes très sensibles à une odeur, que nous l’aimons ou que nous la détestons ?
Sophie T. nous donne les causes diverses qui font que les dégustateurs peuvent percevoir différemment une même substance :
- Le niveau de concentration de la molécule aromatique
- La sensibilité propre du dégustateur
- Et le niveau de connaissances ou d’expériences
Personnellement, j’ajouterai la subjectivité.
Sophie T. dit que les dégustateurs doivent découvrir leur sensibilité individuelle pour perfectionner leur capacité de perception.
Pour découvrir leur sensibilité individuelle, les dégustateurs doivent se connaître, c'est-à-dire connaître leur faiblesse et leur point en dégustation, ils doivent également comprendre leur appréciation et celle des autres, pour se situer.
Pendant sa thèse, elle a testé des protocoles d’entraînement pour la perception et l’identification des odeurs. Elle a obtenu des résultats positifs, puisque des hyposmiques ont pu retrouver leur acuité sur divers composés.
Toute sa thèse a été faite sous l’angle olfactif et non gustatif, elle le justifie parce que les dégustateurs auraient principalement des avis divergents lors de la phase olfactive et non gustative.
Sa thèse est intéressante parce qu’elle met en avant une notion qui est parfois ignorée et du coup inconsciente des professionnels. Pourtant, elle ne va pas jusqu’au bout, puisqu’elle-même ignore le facteur subjectif qui est lié à notre sensibilité.
Lors de sa thèse, elle aurait pu étudier cet aspect, pour aller plus loin dans la compréhension de notre sensibilité individuelle.
Dans la dégustation, il y la notion d’identification et de qualification, et c’est lors de la qualification que tout se complique, que ce soit olfactif ou gustatif.
Tout cela est positif parce que cela montre que les consciences évoluent, mais on voit aussi qu’il reste du travail à faire.
Cela démontre également qu’être professionnel ne suffit pas à être compétent. Il faut intégrer chaque élément qui entre en ligne de compte et qui peut interférer dans notre jugement, pour être juste et modéré, dans la mesure où ce qu’est un vin pour nous, ne l’est pas forcément pour notre voisin.
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Bonne journée