29 Avril 2015
Yves Cadot, chercheur à l’INRA d’Angers, est l’auteur d’une thèse, sur le lien entre le terroir et la typicité, qui démontre que le sol, ou « terroir », est un facteur secondaire dans la typicité des vins.
L’idée de son étude est venu de la demande des producteurs de l’AOC Anjou-Villages-Brissac qui ne comprenaient pas que leur appellation fasse 2000ha, alors que seulement une petite centaine d’hectare était revendiquée.
De là, le chercheur a suivi le raisonnement suivant : « on ne peut pas étudier les caractéristiques sensorielles d’un vin, si on ne s’intéresse pas également aux objectifs des vignerons. » Il voulait étudier la typicité des vins en fonction des objectifs de départ des producteurs, des résultats obtenus et des écarts entre les deux.
Sa méthode :
Dans un premier temps, il a sondé chaque producteur (41) de la zone de production Anjou-Villages-Brissac sur l’élaboration de leurs vins, de la taille de la vigne à la mise en bouteille ; chaque choix, à chacune des étapes, fut relevé.
Dans un second temps, il fallait caractériser d’un point de vue sensoriel l’Anjou-Villages-Brissac. Pour se faire, 2 dégustations se sont déroulées.
La première a porté sur une sélection de 34 vins ; les plus représentatifs de la diversité des milieux physiques et des pratiques agro-viticoles sur les millésimes 2005, 2006 et 2007. Un jury expert a dégusté ces vins pour permettre une analyse descriptive quantitative. Puis ces résultats ont été croisés avec la définition de la typicité de l’AOC donnée par les producteurs, pour définir « la typicité » de l’Anjou-Villages-Brissac.
Une seconde dégustation fût organisée pour les vignerons, auxquels on demanda de mesurer chaque descripteur de l’appellation ; par exemple : la couleur du vin est-elle conforme à celle que vous attendez d’un Anjou-Villages-Brissac ? La couleur est : trop claire, claire, sombre, trop sombre etc..
Grâce à cette dégustation, Yves Cadot put déterminer le vin idéal de chaque vigneron. Il étudia pour les vins jugés, les plus et les moins typiques, et leur lien avec cinq facteurs d’élaboration : le sol, le cépage, la date de vendange, la durée de cuvaison et la durée de l’élevage.
Ainsi, il s’est aperçu que la date de vendange, la durée de cuvaison, et la durée de l’élevage intervenaient fortement dans la typicité, alors que le sol n’expliquait rien. Les vins jugés les plus typiques de l’appellation sont ceux qui ont été vendangés le plus tard, et qui ont subi les durées de cuvaison et d’élevage les plus longues.
A la question, quels facteurs sont importants pour produire un Anjou-Villages-Brissac ? Les vignerons avaient répondu : le sol et sous-sol, le climat, le cépage, et le porte-greffe et enfin les pratiques vinicoles.
Aussi, il parait évident qu’il existe un décalage entre les facteurs que les vignerons croient influents sur la typicité, et ceux qui le sont vraiment.
Yves Cadot explique qu’il est plus facile d’accommoder les pratiques œnologiques que de changer de matériel végétal, en parlant du sol et des cépages, c’est pourquoi les vignerons gomment l’effet du sol et de la plante dans le vin.
Il conclut que la mise en avant du lien entre le terroir et la typicité est très importante pour l’AOC, mais que dans la pratique, cela ne se vérifie pas. La typicité de l’appellation Anjou-Villages-Brissac, telle qu’elle est définie oralement par les producteurs fait consensus, mais ils jugent leur propre vin éloigné de leur idéal de typicité. Le jugement qu’ils portent sur leur vin est aussi différent de celui porté par le groupe. Quelques rares vignerons produisent le vin qui correspond à leur vin idéal, mais ce dernier n’est pas celui de l’ensemble du groupe. Finalement les producteurs ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’ils doivent produire collectivement.
Les travaux de thèse du chercheur Yves Cadot démontrent très clairement que notre système de classification n’est pas cohérent avec l’image qu’on en donne. Les AOC qui avaient pour but de valoriser le terroir, et de donner des repères aux consommateurs, ne le font pas dans la réalité, puisqu’il n’existe pas ou peu de typicité liée au terroir, du fait d’itinéraires d’élaboration diverses et variés. On constate clairement qu’au sein d’une même appellation les différences de vins sont nombreuses. Cela est sans aucun doute une bonne chose dans la mesure où la diversité doit être préservée. Pourtant, s’il n’existe pas de cohérences des caractéristiques des vins sur une même appellation, se pose la question de comment valoriser cette appellation ; comment valoriser ces vins qui devraient appartenir à une même famille, et à la fois se distinguer des autres familles, pour des raisons précises.
J’adore les vignerons et je les respecte beaucoup, mais leur inconscience crée de nombreux malentendus, que ce soit parmi les professionnels, ou vis-à-vis des consommateurs. De nombreux vignerons ressemblent à ceux de l’appellation Anjou-Villages-Brissac parce qu’ils tiennent un discours idéologique par rapport à la notion de terroir et d’AOC, parce qu’ils expliquent sans complexe toutes les manipulations œnologiques qui ont participé à réaliser les vins qu’ils présentent et finalement on entend ce que l’on veut entendre, éventuellement on goute des vins qui correspondent à notre plaisir gustatif et pourtant il s’agit de tout sauf de vins de terroir ou de vins typiques de leur AOC.
Un vin peut-il être de terroir, pas à 100%, le vin ayant besoin de l’aide de l’homme pour se réaliser, mais il est certain que certains vins sont plus représentatifs de leur terroir que d’autres, et c’est bien ceux là qui doivent être préservé, afin que ce savoir-faire perdure.
Donc pour pouvoir vraiment répondre à la question qu’est-ce qu’un vin de terroir, il faudrait sans aucun doute mener une étude, un peu dans la même lignée que celle d’Yves Cadot pour définir quel itinéraire d’élaboration est celui qui permet le plus au vin d’exprimer son terroir.
J’espère que quelqu’un se chargera prochainement de ce lourd projet, afin d’avoir les réponses à nos questions.
Bonne journée