Le "vin" synthétique

Synthétiser les molécules qui composent le vin, les assembler comme un puzzle et appeler le résultat du vin, est-ce raisonnable ?

L'autre soir encore aux infos, ça parlait de steacks hachés végétaux, et c'est fou d'avoir le droit d'user du nom "steack" pour un produit qui n'est pas de la viande. Encore plus dingue, on fabrique un steack sans viande qui a le goût de la viande et qui peut se faire passer pour de la viande, si on le goûte à l'aveugle. Bien évidemment si on appelait ça : haché de produits comestibles divers et variés, tout de suite ce serait moins sexy. Quelle hypocrisie ! Entendons-nous, je ne suis ni pro viandes, ni contre les steacks végétaux, ce que je ne comprends pas, c'est que l'on souhaite manger quelque chose dont on ignore vraiment de quoi il est composé et qui a un goût de viande et non un goût qui correspondrait à sa constitution. C'est principlement ce qui m'interpelle et cette même question est soulevée dans le fait de consommer une boisson qui n'est pas du vin, mais qui aurait des similitudes gustatives avec le vin.

Un jour (il y a 6 ou 7 ans), en participant à un concours de cuisine des grandes écoles en tant que jury, j'étais assise à côté de Hervé This, spécialiste de la cuisine moléculaire ; et pendant le concours nous avons eu l'occasion de papoter un peu de son travail et de vins. Déjà à cette époque, il m'expliquait qu'il était tout à fait possible de faire du vin, sans raisins, en assemblant tous les éléments constituant le vin du point de vue moléculaire. Et bien voici chose faite ! On peut toujours dire que ce sont les américains qui ont lancé un pavé dans la marre, je peux sans aucun doute dire que je connais au moins un français qui y songeait déjà il y a plusieurs années.

Reste une inconnue dont personne ne parle. J'avais lu cette information, il y a longtemps, elle doit apparaitre dans l'un de mes articles scientifiques, mais lequel... Vous me pardonnerez donc mon imprécision, et la non référence à ma source, je ne sais plus si le chiffre est de 97% ou 98%, toujours est-il que nous ne savons déterminer de manière précise qu'à 97% de quoi est composé chimiquement le vin. Il reste donc une énigme (3%), une énigme que certains s'accorderont à dire qu'elle n'en est pas une, quand d'autres y verront un mystère d'importance.

Alors, je ne me permettrais pas de trancher, je ne me risquerais pas non plus à parler dans le vide, n'ayant pas gouté ce "vin" synthétique, mais je rejoindrai une des réflexions de Frédéric Coutant :  Si l'on peut copier une couleur, un bouquet aromatique, un style gustatif, comment apporter la mâche, l'effet matière d'un vin, quand il ne découle pas d'un fruit pressé, mais uniquement d'eau mélangée à des poudres et molécules en tout genre ?

​Quelque part le contenu qui va suivre, est tout à fait dans la veine du précédent article qui parlait du faussaire de vins (Rudy), qui créait des mélanges de vins américains pour contrefaire des grands crus français. Le pauvre Rudy n'était pas chimiste, mais pas loin, s'il avait eu les connaissances d'un Hervé This, qui sait ce dont il aurait été capable ?

​Voici l'article qui m'a inspiré cette inroduction, bonne lecture !

 

Ce vin synthétique veut copier les grands crus

Par Cédric Rousseau / OUEST-FANCE   Mai-2016

 

Une start-up américaine annonce avoir fabriqué du vin sans raisin, en mélangeant des arômes artificiels et de l’éthanol. Vous êtes outrés ? Nous aussi. Un expert en vin nous dit pourquoi ce n’est pas (forcément) scandaleux. Et peut-être même très bon…

« Réplique d’un champagne Dom Pérignon 1992, sans vin ni levures ni fermentation. 50 dollars au lieu de 200 dollars », annonce fièrement l’entreprise américaine Ava Winery, sur son site internet. L’amoureux du terroir français qui sommeille en chacun de nous crie au scandale. Au crime, presque. Au pays du fromage, quoi de plus sacré que le vin qui l’accompagne ?

« Je reconnais bien là les Américains ! » réagit Frédéric Coutant, qui a décroché en 2004 le diplôme « Un des Meilleurs Ouvriers de France » en cuisine-restauration-sommellerie. On s’attendait à ce qu’il soit choqué, mais la nouvelle le laisse très philosophe. « Moi ça me donne envie de goûter, car je suis curieux de nature. Si le goût est plaisant, pourquoi pas ? »

Pour cet expert des vins et des fromages, défenseur des terroirs et amoureux des bonnes choses, le fait de fabriquer du vin synthétique n’est pas une honte en soi. « Techniquement, ce sont les mêmes molécules chimiques. L’éthanol est un support. Il est produit par les levures au cours de la fermentation et a les mêmes propriétés, qu’il soit « naturel » ou « artificiel », même si ce ne sont pas les bons termes, explique-t-il. L’éthanol est un filet qui retient les parfums. Après, on peut y mettre ce que l’on veut comme esters [molécules de l’arôme naturel des fruits, NdlR] qui sont à l’origine de la flaveur : le goût et l’odeur d’un vin, la sensation créée par ces molécules. »

Une recette chimique bien précise

Le faux vin, comment ça marche ? « Tous les vins partagent la même base de composés chimiques, explique la société Ava Winery. Nous recréons les vins en combinant ces molécules, saveur par saveur, en suivant une recette précise. » Un peu comme on fabrique un parfum. La start-up annonce ainsi avoir « copié » de très grands crus, surtout des vins effervescents.

Mardonn Chua, créateur de Ava Winery, détaille le processus : « Je ne peux pas me payer les meilleurs crus et je trouve ça amusant de faire mes propres vins. Les ingrédients sont facilement disponibles et très faciles à utiliser. » Il classe ces ingrédients en deux groupes : la « matrice », composée d’acides, de sucres, d’alcools et de glycérine ; puis les arômes (par exemple : l’éthyl-hexanoate exhale des odeurs d’ananas, le butanoate sent le raisin, l’acétoïne a l’odeur de « beurre et de pop-corn »…).

On peut déceler ainsi entre 300 et 400 esters différents dans le vin. Le petit chimiste a de quoi s’amuser. Il peut même ajouter des tanins tirés du bois, pour recréer l’astringence naturelle du vin rouge, qui « chauffe » l’œsophage avec plus ou moins de velouté ou d’attaque.

À quoi bon faire du vin ?

À ce stade, on se demande pourquoi s’embêter à faire pousser de la vigne, la soigner, la vendanger, puis assembler et élever le vin en fûts. « En terme de coûts de production, c’est sûr », s’amuse Frédéric Coutant. Qui précise aussitôt : « La fermentation est une réaction biologique. Elle apporte des anthocyanes, des pigments présents dans la peau du raisin. Le vin est aussi fait de textures, de matières, ce qu’on appelle « la mâche ». Je ne sais pas comment ils peuvent recréer ça. »

De même, le vin « copié » n’a pas les mêmes valeurs nutritionnelles. Les tanins issus du raisin sont composés de polyphénols, des antioxydants naturels, dont la consommation modérée est réputée avoir des bénéfices pour la santé.

Mais ce qui chiffonne le plus dans cette histoire de faux vin, c’est son histoire. Ou plutôt son absence d’histoire. Que raconte un vin fabriqué en laboratoire ? Frédéric Coutant est sceptique : « La notion de terroir, pour moi, est la plus compliquée à apporter dans ce genre de produits. » Les arômes du vin sont traditionnellement découpés en arômes primaires (apportés par le cépage, la variété du grain de raisin), secondaires (produits pendant la fermentation alcoolique) et tertiaires (qui arrivent avec l’âge ou suivant l’élevage, le passage en fûts, etc.)

Hormis les arômes secondaires, on voit mal comment créer dans des fioles la subtilité des arômes provenant du cépage et du lieu où a poussé la vigne. « La spécificité de cette plante, poursuit Frédéric Coutant, c’est qu’elle apporte à ses fruits des saveurs issues du sol où elle grandit. Suivant la nature de la terre (calcaire, argileuse, siliceuse, etc.), le raisin aura un goût différent. Une pomme Granny Smith sera la même, qu’elle pousse dans le Bordelais ou en Australie. Pas le raisin. » C’est ce qu’on appelle le terroir, qui donne tout son intérêt au vin. Autre bémol : les tanins artificiels. « On doit avoir la sensation de sucer un morceau de bois… »

Un goût « artificiellement floral »

Le site The New Scientist a publié une vidéo d’une dégustation en aveugle d’un vrai vin et de sa « réplique ». Le résultat est mitigé : le « faux vin » aurait, d’après le testeur, une petite odeur d’alcool à brûler et de plastique, comme ces « requins gonflables que vous prenez à la piscine » ! Le goût, cependant, est apparemment « doux, plus qu’on peut s’y attendre, avec quelques notes fruitées comme la poire ou la pêche, et peut-être quelque chose d’artificiellement floral, comme un savon de lavande ». En somme : ni excellent ni mauvais, pas vraiment convaincant, peu à voir avec du vrai pinard…

Pour notre expert en vins, « ce genre de produit sur le marché français a peu de chances de se vendre. Une fois la curiosité passée, ça m’étonnerait qu’on se relève la nuit pour finir la bouteille. » D’ailleurs, note-t-il, « ils n’auraient pas le droit d’appeler ça du vin. La législation française est l’une des plus strictes au monde. »

Ce constat n’entame pas son enthousiasme pour autant. « On boit du lait pasteurisé depuis 50 ans, qui n’a plus rien à voir avec du lait cru. Qui boit encore au pis de la vache ? Peut-être que dans 50 ans, on boira du vin pasteurisé. Ou ce genre de boissons, quand elles seront au point. Les goûts, c’est aussi une question d’époque. » Le plus important, pour lui, est « que le consommateur sache ce qu’il achète ». Alors, prêts à tester ?

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D
Merci pour ce sujet très intéressant! Vous avez vraiment apporter les explications nécessaires sur le vins synthétique.
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