19 Septembre 2023
Suite à l'Article 1 et à l'Article 2, ce dernier vient compléter et clore ce dossier sur le Botrytis Cinéréa.
1°) Présentation
2°) Botrytis Cinéréa = « Pourriture Noble » ou « Pourriture Grise »
3°) Qu’est-ce-que l’histoire littéraire nous dit des vins liquoreux ?
4°) Au 20ème siècle, comment étaient la vitiviniculture et qu’est-elle devenue ?
Alexandre de Lur Saluces a dit au sujet des exploitations agricoles d’avant 1900 : « on recherchait un équilibre à travers plusieurs mises en valeur du sol, plutôt qu'à développer une monoculture, visant un vin exceptionnel et onéreux. Et quant aux vins, il me semble qu'eux aussi étaient moins "spécialisés". […] En fonction des goûts des consommateurs, des modes, aussi, on ne cherchait pas spécialement à produire des vins liquoreux".»
Anjou, 1924, Jean Boivin dit : « avant la reconstitution de 1876, [..], suivant les années, ce vin était sec, pétillant ou doux. On ne cherchait pas à cette époque à faire un type de vin bien déterminé. »
Dans son « Dictionnaire du monde rural, les mots du passé », l'historien M. Lachiver cite un mot : « levrouté : en Mâconnais, se dit du raisin sur-mûri, passerillé. »
Et E. Violet, en 1932, décrit ainsi, les vendanges à Clessé, en Mâconnais, au 19ème siècle : « les raisins blancs étaient vendangés tard, on les laissait mûrir. Ils étaient tous levroutés, ils étaient sucrés comme du miel. »
Dans d'autres vignobles, reconnus de nos jours, uniquement pour leurs blancs secs (Condrieu, par exemple), il en allait de même...
De ces données sont nées une hypothèse, réalisées par des vignerons, concernant l’évolution des vignobles et de leurs productions de liquoreux, du 19ème au 20ème siècle.
En voici le résumé, partant de la base des exploitations agricoles en polycultures, comment en sont elles arrivées à la monoculture, qui plus est, de production de vins liquoreux uniquement ?
Les textes du passé nous informent sur le fait qu’un producteur réalisait aussi bien des vins pétillants que secs, que demi-secs et moelleux, que d’une année sur l’autre, il faisait avec ce qu’il avait, comme il voulait.
Hors on constate que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Une des premières raisons est la réglementation, non effective à la fin 19ème, mais ce n’est pas la seule.
Les zones actuelles, produisant des vins liquoreux, sont celles qui étaient déjà, les mieux prédisposées et adaptées, dans le passé. Soit le Sauternais et le Layon, le Languedoc-Roussillon, et l’Alsace…
Dans l’ensemble, notre besoin d’évolution pourrait expliquer que nous ayons conservé les terroirs de meilleure qualité, pour réaliser ces vins, si fragiles et capricieux à naitre… Mais ce n’est pas aussi simple que ça. Nous, nous avons le recul, et eux ne l’avaient pas. Donc pour que ces zones se dessinent petit à petit, est entré en jeu des facteurs, tels que : les activités humaines et leurs enjeux économiques, commerciaux et sociologiques…
Dans le sauternais, on soutiendrait que les premiers liquoreux étaient arrivés plus par accident, que par volonté. Les consommateurs auraient accueillis cette nouveauté avec un tel enthousiasme, que cela aurait encouragé la réflexion des viticulteurs pour entreprendre cette production spécialisée de façon régulière. L’idée fit mouche, germa et devint réalité.
Ces vins ont toujours été plus chers, que les vins secs et leurs producteurs bénéficiaient de revenus supérieurs, très confortables.
On a également identifié très tôt les « terroirs » du Layon, et du Sauternais, parce que ces vignobles subissent une influence océanique très forte, dont l’hygrométrie est très importante, et que ces conditions environnementales sont idéales pour l’installation et le développement du Botrytis. Y ayant été toujours très présent, et en grande quantité, il fut remarqué.
Le Languedoc aussi est confronté à ces éléments, mais de façon plus discrète, malgré tout.
Quant à l’Alsace, elle se situe à la frontière de l’Allemagne, qui est l’un des plus anciens et grands producteurs de vins liquoreux au monde. Aussi comment aurait-elle pu ne pas être éduquée aux vins liquoreux, avec toute l’histoire commune de nos deux pays, particulièrement dans cette région.
Cette spécialisation de production fut un choix difficile et risqué, du fait de la dépendance climatique encore plus forte que celle pour les vins secs.
Vint la période de l’entre 2 guerres, où fût instaurée l’autorisation de la chaptalisation, sur les moûts, aussi cette possibilité permit une meilleure maitrise de la production des liquoreux, ce qui incita d’autant plus, des vignerons à se spécialiser.
Cette réglementation a aussi eu un impact pour prendre l’autre décision, celle de se spécialiser cette fois dans la production unique de vins secs. Les régions les moins disposées au Botrytis, ont pu se dire, que grâce à la chaptalisation, s’ouvrait la possibilité de récolter le raisin avant la pleine maturité, pouvant compenser le manque de sucre éventuel.
Ainsi, on pouvait augmenter la quantité de raisins vendangés, n’ayant plus à privilégier les raisins murs, et par conséquent la quantité de vins produits et vendus. Donc mine de rien, ce changement offrait de nouvelles possibilités, et apriori moins de soucis pour les vignerons, quelque soit le choix fait, liquoreux ou sec. De toute façon, les régions, où le Botrytis ne se développait pas correctement, se retrouvaient désarmées, et peu concurrentielles, aussi le choix pour survivre, semblait mince.
Une dernière idée est effleurée, celle de la désaffection des consommateurs pour les vins liquoreux, ce qui aurait également entrainé la diminution de leur production. Un vigneron dit : « On a beaucoup dit qu'après guerre, le goût des consommateurs avait changé, d'où la désaffection à l'égard des liquoreux : mais ne pourrait-on pas risquer l'explication inverse ? Et si c'était le goût des liquoreux qui avait changé ? »
Personnellement, je n’oublie pas l’évolution parallèle de notre façon de manger et l’un n’allant pas sans l’autre, il est fort à parier que ces vins doux, aient été de plus en plus inadéquats avec le type de nourriture, de nos envies et besoins. Rappelons aussi, que ces vins sont plus forts en alcool que les vins secs.
Bibliographie
- Barsac Sauternes, de Bernard Ginestet
- Histoire de la vigne et du vin en France, de Roger Dion
- Une histoire mondiale du vin, de Hugh Johnson
- La morale d'Yquem, d’Alexandre de Lur Saluces
- Les vins blancs d'Anjou et de Maine et Loire, de Guillory, Bulletin de la société industrielle d'Angers, 1860
- Jean Boivin, Thèse viticole de l’Ecole Supérieure d'Agriculture d'Angers, 1924
- Dictionnaire du monde rural, de Marcel Lachiver
ALBUM PHOTOS
Toutes les photos de cet article sont issues du site "Cru Barréjats", dont le vigneron fait partie de l'association "Sapros".
Association que je remercie pour toutes les informations qu'ils nous mettent à disposition.
Bonne journée