Les levures, une technologie inquiétante...

La société Lallemand (www.lallemandwine.com) est spécialisée dans la sélection et la production de levures, bactéries et dérivés de levures destinés à la filière vitivinicole.

Depuis 5 ans, chaque année, elle organise un petit tour en France, pour organiser des débats sur des thèmes œnologiques, dans le but de partager, d’évoluer sur certaines questions, d’ouvrir des pistes de réflexions pour améliorer leur compréhension du vin…

Cette année le thème était « la typicité aromatique des vins » ; ils ont communiqué récemment leurs conclusions sur les échanges qui ont eu lieu pendant leur « Tour 2010 ».

 

Toutes les informations qui vont suivre, sont axées sur la mise en évidence de la typicité aromatique dans les vins :

 

-         1ère expérience réalisée par l’AWRI (Autralian Wine Research Institute) 

Les vins de Chardonnay australiens sont fortement touchés, par la concurrence des vins de Sauvignon néozélandais ; pour résoudre ce problème, l’AWRI a envisagé la solution « biotechnologique » en testant différentes levures sur un même moût de raisins, afin d’observer les résultantes aromatiques des levures sur le vin. Ici, ils comptent sur les levures pour modifier l’aspect aromatique du vin, espérant obtenir un Chardonnay qui plaise davantage que ceux produits actuellement et qui sont moins bien appréciés que les vins de Sauvignon. Ainsi, après avoir testé 5 catégories de levures, ils ont analysé les résultats en laboratoire (étude des molécules aromatiques), qui ne furent pas concluants par rapport à leurs attentes ; et ils ont présenté ces mêmes vins à un panel de consommateurs, pour observer leur perception. 3 profils de consommateurs se sont distingués :

● Le profil n°1 est un homme de 50 ans environ, qui a l’habitude de consommer régulièrement du vin. Il préfère le Chardonnay aux notes exotiques et rejette ceux qui ont des notes florales.

● Le profil n°2 est une femme plutôt jeune, qui consomme peu de vins. Elle rejette les Chardonnay aux notes de buis et « pipi de chat », elle préfère ceux aux aromes de bonbons anglais et confiseries…

● Le profil n°3 est une population qui se caractérise uniquement par le fait d’aimer les Chardonnay aux notes de buis et « pipi de chat » et qui rejette ceux aux aromes de confiseries.

Dans un second temps, ils ont demandé au panel quel vin, ils pensaient avoir gouté, sans leur préciser que le seul élément qui différait sur chaque vin était la levure utilisée pour la fermentation alcoolique. Le panel a préféré majoritairement les Chardonnay qui pouvaient être perçus comme des Sauvignon sur la base aromatique.

 

Cette étude nous démontre clairement que la sélection de levures exogènes peut être une solution œnologique pour au minimum modifier la base aromatique d’un vin, voire lui donner les caractéristiques aromatiques d’un autre cépage.

 

-         2ème expérience réalisée par un maître de conférences à Agrosup Dijon

Toujours sur le Chardonnay, une étude a été menée auprès d’un jury d’experts, avec une cinquantaine de vins (moitié de Chardonnay et moitié d’autres cépages). Après dégustation, on leur a posé une seule question : « ce vin est-il un bon ou un mauvais exemple  de vin de Chardonnay ? ». Majoritairement, les vins issus de Chardonnay furent considérés comme de bons exemples, les mauvais exemples étaient principalement des vins issus d’autres cépages.

Dans le cas du Chardonnay, on peut dire que le test fût probant, pour mettre en évidence une certaine typicité des vins de Chardonnay.

Mais ce ne fût pas le cas, dans le cadre d’études sur des appellations, telles que « Vin de Pays rouge du Duché d’Uzès ou l’AOC Fleurie ».

Donc la méthode donne des résultats positifs mais elle ne peut être appliquée et vérifiée dans tous les cas.

 

-         3ème expérience ;

Olivier Pillet, responsable des expérimentations œnologiques chez Lallemand a proposé de tester une nouvelle levure, dans le sens où son espèce est peu ou pas utilisée habituellement, afin d’observer son potentiel, dans la cadre d’une double inoculation dans le moût de raisins. Dans l’ensemble, les résultats furent positifs, mais la méthode n’est pas « sure » et comporte un certain nombre de contraintes pour être applicable facilement à grande échelle.

Ici aussi la levure jouait un rôle pour modifier les aromes de vins.

 

-         4ème expérience ;

Elle portait sur les vins rosés, sans entrer dans les détails, il s’avère que l’on ne peut pas définir une « typicité aromatique » des vins rosés.

 

-         5ème expérience ;

Cette dernière était en rapport avec la fermentation malolactique, son rôle et conséquences…

Je n’y ai pas compris grand-chose, je n’y ai pas vu un intérêt majeur, donc je m’abstiendrai.

 

J’avais déjà dénoncé les technologies œnologiques qui jouent un rôle transformateur du vin, qui servent l’homme plutôt que le vin ou les consommateurs.

Les résultats présentés par Lallemand confirment ces initiatives de plus en plus nombreuses, pour savoir dans quelles limites, on peut manipuler le vin pour en faire ce que l’on veut.

Après tout à quoi cela sert-il de se demander si un cépage ou une appellation possède une quelconque typicité, si « cette typicité » ne correspond pas au produit que l’on souhaite, parce qu’il ne plairait pas assez….

Avec le premier exemple, j’ai la sensation que l’on marche sur la tête, n’est-il pas plus simple de produire du vin de Sauvignon, plutôt que du Chardonnay qui possèderait un « profil » Sauvignon, grâce aux levures.

Avec ce type de pratiques, pourrions-nous considérer qu’il y a « usurpation » ? Si un client recherche un Chardonnay avec des caractéristiques de Chardonnay et qu’il se retrouve avec un « gout » de Sauvignon, est-ce normal ? Est-ce acceptable ? Est-ce raisonnable ?

Je me demande si tout cela est bien éthique, je me demande jusqu’où pouvons-nous aller encore…

 

Autre article, même thème : "les levures de fermentation"

 

Bonne journée

 

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J
Pour votre information, et afin de peut-être mieux comprendre le rôle, les avantages, les limites,... des LSA, vous pouvez consulter les dossiers traitant de la fermentation alcoolique (et d'autres sujets oenologiques) sur le réseau Winemak-in. Vous pourrez même poser vos questions aux experts qui s'expriment sur le site.<br /> <br /> Et si le coeur vous en dit, vous pouvez même rédiger des articles sur l'emploi des levures indigènes, si vous le souhaitez.<br /> <br /> A bientôt j'espère !
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M
Il est inexacte de parler d’ « arômes synthétiques », « non naturels », de « bouquets aromatiques chimiques » et de dire que les levures sèches actives « ajoute(nt) quelque chose d'externe » au<br /> vin. Les levures naturelles sélectionnées ont été notamment été sélectionnées pour leurs propriétés à révéler les précurseurs d’arômes initialement présents dans le mout de raisin. Elles<br /> n’apportent en aucun cas des arômes exogènes, « synthétiques » et « chimiques » comme vous l’énoncer. J’ajoute qu’il n’y a rien d’antinomique entre l’utilisation de levures sélectionnées et la mise<br /> en valeur du potentiel du terroir. Au contraire, le recours aux souches sélectionnées est en fait la meilleure garantie pour que ce potentiel ne soit pas altéré par des déviations fermentaires<br /> indésirables.
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M
« Quand on sent la fraise tagada ou le bonbon anglais, ce sont des arômes synthétiques » : non, il s’agit d’esters comme par exemple l'acétate d’isoamyle, composé qui peut tout aussi bien être produit par les levures indigènes. <br /> Pour revenir aux bases de la microbiologie du vin, les arômes variétaux ou arômes primaires proviennent du métabolisme du raisin et sont caractéristiques d’un cépage. Si l’on prend l’exemple des thiols que vous évoquez, ceux-ci sont présents à l’état de précurseurs dans le moût (lorsque le cépage en contient) et seront révélés par la levure. Certaines levures ont en effet été spécifiquement sélectionnées pour leur capacité à révéler ces thiols grâce à leur activité enzymatique. Les arômes secondaires ou fermentaires apparaissent au cours de la fermentation alcoolique. Ce sont notamment ces esters dont vous parlez. Pour répondre à certains besoin des vignerons (notamment dans le Beaujolais ou pour d’autres vins Primeurs), certaines levures ont été sélectionnées pour leur aptitude à révéler plutôt ce type d’arômes. Après, on adhère ou non à cet itinéraire technique de vinification. Mais on ne peut nier les faits scientifiques. <br /> Je ne suis pas aussi binaire : je n’énonce pas que les vins issus de levures indigènes soient nécessairement forcément de mauvaise qualité (il peut au contraire y en avoir d’excellents), contrairement à ceux pour lesquels on utilise les levures naturelles sélectionnées. Je trouve juste formidable que les vignerons aient aujourd’hui le choix.
E
<br /> <br /> Quand on sent la fraise tagada ou le bonbon anglais, ce sont des arômes synthéttiques, ils n'existent pas à l'état naturel... La fraise fraîche est un arôme naturel... Donc il y a des vins qui<br /> sentent les fruits frais rouges et il y a des vins qui sentent le bonbon... Bizarrement je n'ai jamais senti d'aromes synthétiques sur des vins avec des levures indigènes, alors qu'à chaque fois<br /> que j'ai senti des arômes synthétiques, il s'avérait que des levures exogènes avaient été utilisées. D'autre part, une étude sur la formations des arômes dans le vin a démontré que cétait la<br /> structure du vin qui impactait sur la formation de tel ou tel thiol aromatique, et dans plusieurs études sur les levures, il est revendiqué que les levures exogènes sont impactante sur la<br /> structure des vins et donc sur la formation des thiols aromatiques. Hors comment peut-on défendre que les levures révèlent le terroir, quand elles sont impactantes sur la structure originelle du<br /> vin,, ce discours est incohérent... Je sais que c'est ce que l'on sert à tout va à tout le monde pour justifier l'utilisation des levures exogènes, mais dans la réalité, ça ne se vérifie pas...<br /> Et si il était nécessaire d'utiliser des levures exogènes pour que les vins soient de qualité, de terroir et sans déviance aromatique, alors comment se fait il qu'il existe de nombreux vins de<br /> grandes qualités où l'uitlisation des levures exogènes est proscrite.<br /> <br /> <br /> <br />
A
c'est bon à savoir tout ça !
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M
Bonjour,<br /> <br /> Je tiens à réagir à votre article dont le titre (dont il aurait fallu préciser « Levure Sèche Active (LSA) si l’on suit votre raisonnement) apparait comme disproportionné. Mise à part vos<br /> réflexions - tout à fait légitimes - sur l’intérêt d’utiliser ou non des levures naturelles sélectionnées, quels arguments avancez-vous pour justifier l’expression « technologie inquiétante » ?<br /> Concernant l’expérience réalisée par l’AWRI, il est intéressant de noter que l’on ne peut cette fois reprocher aux LSA de conduire à une standardisation des vins… Quoi qu’il en soit, il s’agit ici<br /> selon la levure utilisée de révéler plus ou moins les arômes variétaux (thiols, terpènes) et de produire plus ou moins d’arômes fermentaires. L’objectif du vigneron est avant tout de produire un<br /> vin correspondant à ses attentes, à son goût. Il doit bien sûr être révélateur de son terroir, et en même temps satisfaire la demande du consommateur, toujours plus exigeant. Répondre à des<br /> contraintes économiques est une réalité. Pourquoi ne pas utiliser tous les outils qui sont à sa disposition, biotechnologies incluses ? En quoi sort-on du domaine de l’éthique ? L’impact d’un<br /> élevage de longue durée, avec une proportion élevée de bois neuf, ne va-t-il pas plus fortement influencer le goût d’un vin que la souche de levure, qu’elle soit indigène ou pas ?<br /> Au-delà des LSA, nous avons atteint aujourd’hui un degré de connaissance scientifique qui permet aux viticulteurs d’avoir le choix et de sécuriser un peu plus les aléas parfois difficiles du monde<br /> agricole. Je pense qu’il serait dommage de se priver des progrès que nous offrent le monde de la recherche.<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> Marion
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E
<br /> <br /> " L’objectif du vigneron est avant tout de produire un vin correspondant à ses attentes, à son goût. Il doit bien sûr être révélateur de son terroir, et en même temps satisfaire la demande du<br /> consommateur, toujours plus exigeant."<br /> <br /> <br /> Pour moi les termes "technologie inquiétante" découlent exactement de cet objectif du vigneron que vous énoncez. Il est très nouveau (15-20 ans) dans l'histoire du vin de faire un vin qui réponde<br /> aux attentes et aux goûts du vigneron. Il était admis et nécessaire de matriser l'itinéraire de vinification dans le but de faire un vin sain consommable. Aujourd'hui l'objectif n'est plus de<br /> faire un vin sain consommable mais de faire le vin que l'on souhaite (comme une recette de cuisine), sans se demander qu'elle aurait été son expression originelle, parce qu'un terrroir, un/des<br /> cépages, une histoire, une appellation s'expriment...Les levures exogènes impactent le vin à plusieurs niveaux et elles ne permettent pas au vin de se sublimer, elles ne sont pas à son service,<br /> elles sont utilisés dans des buts spécifiques de transformation du vin originel, pour un résultat prédéterminé par l'homme.... Il est incohérent de parler de terroir, ou de révélateur de terroir,<br /> quand on ajoute quelque chose d'externe pour modifier le résultat issu du terroir... Les levures exogènes donnent des arômes synthétiques au vin, reconnaissables, par toute personne initiée... Il<br /> me suffit de déguster un vin pour savoir s'il y  a des levures exogènes... Si ces levures étaient au service du terroir et du vin, comme vous le dites, on ne devrait pas les détecter sur<br /> simple dégustation, mais elles sont détectables parce qu'elles donnent des arômes non naturels qui donnent au vin des bouquets aromatiques chimiques qui ne tiennent pas le choc après 15 minutes<br /> d'ouvertures...<br /> <br /> <br /> Oui c'est un outil utile pour certains producteurs et je comprend que l'on doive maquiller un vin de mauvaise qualité... Maintenant, en faire un argument qualitatif me semble totalement<br /> déplacer.<br /> <br /> <br /> <br />