Typicité et / ou Originalité des vins ?

Dans un précédent article, j’avais soulevé la question : « Typicité des appellations, comment la déterminer ? ».

Je vous avais présenté une étude réalisée par le Laboratoire Grappe, de l’Ecole Supérieure d’Agriculture (ESA) d’Angers, qui avait démontré que lorsqu’un Jury de dégustation est composé de professionnels du vin, spécialistes d’une appellation, ce jury pouvait reconnaître à l’aveugle, par l’analyse sensorielle, une appellation parmi d’autres vins proches de cette appellation. A partir de cette reconnaissance, un travail était mis en œuvre pour déterminer un certain nombre de descriptifs, liés à l’appellation, pour établir la notion de typicité.

Le maître de recherches conclut cette étude en disant : « Ce travail peut faciliter la différenciation entre vins typiques et peu typiques d’une appellation, cela peut se révéler utile dans le contexte de redéfinition des AOC. »

Auquel j’ai ajouté : « Si ce travail était réalisé pour chaque AOC, sans doute cela nous aiderait à y voir plus clair à tout niveau : définition de la typicité, pourquoi ceux-ci sont-ils typiques et pourquoi ceux-là ne le sont-ils pas, les causes de ces différences, sont elles dues au terroir ou aux interventions humaines ? Nous pourrions peut être, enfin apporter des réponses et de la transparence dans le milieu du vin, si opaque par sa complexité… »

 

Après cette étude, d’autres furent menées, sur le même modèle, sur d’autres appellations par un groupe de travail, formé par l’INAO et l’INRA. Les résultats furent sensiblement similaires, sauf pour le cas du Cru Fleurie, à distinguer parmi d’autres crus et Beaujolais-Village, où le jury ne put différencier les vins de Fleurie des autres vins.

Dans cette publication, une chargée de mission à l’INAO nous donne son avis concernant le cas du Fleurie.

Elle semble rassurée sur le fait de ne pouvoir déterminer une typicité quelconque du Cru Fleurie, expliquant que les vins du Beaujolais ont un socle sensoriel commun, du fait de conditions de production communes, mais qu’en tenant compte du facteur humain, qui façonne les vins, suivant les choix de pratiques viticoles et œnologiques, les vins possèdent également des caractéristiques différentes.

Si la typicité d’un vin devait être déterminée, à partir de profils sensoriels types, ou de grilles standards, comme cela se fait pour les produits de l’industrie alimentaire, elle s’inquiète de conséquences, telles que la standardisation ou l’industrialisation outrancière de la filière viticole.

 

Je ne sais pas vous, mais je me sens empli d’un certain paradoxe…

D’un côté, je prône la diversité des vins et d’un autre côté, si l’appellation n’est pas représentative d’une typicité, alors à quoi sert l’AOC ?

Peut-on envisager que la typicité laisse suffisamment de place à la diversité ?

Y-aurait-il un juste milieu entre les éléments communs qui servent de repères, et les éléments différents qui valorisent l’originalité ?

Pourrions-nous définir un vin à partir d’une base commune, mais avec une tolérance aux particularités…

Après tout, le cas des vins du Beaujolais nous montre la possibilité de conjuguer ressemblance et différence au sein d’un même groupe.

 

Finalement, aujourd’hui c’est cet angle d’approche qui doit être pris en compte, puisque dans toutes les régions, nous rencontrons des vignerons qui se voient refuser l’AOC, suite au contrôle organoleptique. Principal motif revendiqué : le vin n’est pas conforme ou représentatif de l’appellation. Mais je le répète, actuellement rien ne définit pour chaque appellation les critères qui lui sont spécifiques ou non, alors sur quelle base les vins sont-ils évalués, s’il n’existe pas de définitions organoleptiques des appellations ?

Normalement, les dégustateurs de contrôle, ne devraient refuser l’AOC qu’aux vins possédant un défaut organoleptique majeur, mais là-encore qui définit ce qui est un défaut…

Dans l’exemple qui suit, les critères restrictifs sont de l’ordre d’arômes ou de nuances de couleurs, mais s’agit-il de défauts majeurs, ayant une conséquence négative pour le consommateur ? A mes yeux ce n’est pas le cas, mais apparemment pour Quali-bordeaux, ça l’est !

 

Ci-dessous un extrait de presse, où un vigneron bergeracois dénonce ce système de contrôle des AOC, parce qu’il le subit…

 

 post vigneron

 

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S
Si vous saviez Emilie un vigneron vient de ma raconter une histoire semblable à ce vigneron bergeracois & refus de la commission (4 moins contre 1 plus ) & appel du vigneron & puis obtention (4 plus contre 1 moins ) ! D'autres ont su s'en sortir sans l AOC comme, par ex. le Mas de Daumas Gassac pour faire des vins atypiques de grandes qualité ...
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L
Si ce que vous appelez l'air de famille est basé sur des constituants organiques du vin, tel arôme, tel terpène, tel quantité et type de polyphenols, acides, sucres, alcools supérieurs alors malheureusement cet air de famille est défini sur des bases copiables, duplicables, replicables. <br /> A coup de chirurgie esthétique on pourrait preque imiter un visage... Et redonner cet air de famille<br /> Par contre peut on copier la personnalité, l'âme, l'histoire.... ?<br /> Aujourd'hui l'oenologie va très loin dans la chirurgie esthétique du vin...<br /> Donc je ne pense pas qu'on puisse identifier et caractériser une communauté de vins sur les seules bases de constituants organiques et la seule dégustation normée sur des critères organoleptiques classiques. <br /> Et ce d'autant que si l'on s'en tient a ce que souligne le neurophysiologiste du goût Patrick Mc Leod, notre système de neurocepteurs est bien trop limité en ce qui concerne le goût et l'odorat. <br /> Il est donc illusoire de chercher une identité ,typicité, caractéristique de terroir par les seules caractéristiques organoleptiques du vin.
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D
J'avoue effectivement ne pas avoir les idées bien claires sur ces débats conceptuels. <br /> Le texte de Mme Merienne : je l'ai trouvé éclairant, comme d'ailleurs un texte de Patrick Baudoin sur cette question typicité/originalité/origine pour Sève<br /> <br /> Il me semble simplement que la seule approche analytique - chimique est un &quot;critère&quot; insuffisant pour reconnaître et identifier des types de vin, pour deux raisons que j'identifie : on sait aujourd'hui beaucoup modifier la chimie du vin, et nous sommes limités d'un point de vue neurosensoriel.<br /> <br /> Par contre, par exemple Margarèthe Chapelle d'Oenocristal qui propose des images de cristallisation sensible des vins sait parfaitement à l'aveugle identifier une origine géologique d'un vin à partir de son image cristalline, dans la mesure où le vin est issu de vigne sur sols &quot;qui fonctionnent&quot; d'un point de vue pédologique. Chaque type de cristallisation correspond à telle génétique géologique. C'est assez surprenant, mais des Instituts de recherche y regardent de près. Comme Geisenheim. On reste dans le domaine scientifique, sauf que les processus de cristallisation sont encore mal connus.<br /> Mais là aussi, l'analyse morphologique serait un &quot;critère&quot; insuffisant.<br /> <br /> Sur la question de la personnalité, qu'est-ce qui la constitue ? L'éducation y prend part. L'origine familiale comme vous le dites. Pour le vin, ce doit être me semble-t-il aussi (outre son géniteur) son histoire viticole, oenologique, en lien avec les usages. C'est pourquoi il me semble avoir lu de Marc Parcé et de Patrick Baudoin qu'ils ne voulaient pas restreindre cette notion d'appréciation de typicité au seul critère de dégustation. En agrément, ça conduit à des hérésies qu'ils avaient prédites. Mais d'introduire dans l'agrément cette question de la personnalité, de l'histoire du vin.<br /> Ce qui aurait pour effet de ne pas avoir aujourd'hui cette situation ubuesque de vignerons encore plus exigeants sur leurs conditions de production refusés en agrément. exemple Jérôme Bressy, Gourt de Mautens, qui réintroduit une quote part de cépage ancestraux dans son encépagement. <br /> Aussi sur la question de l'appréciation de l'air de famille, pourquoi ne pas considérer les méthodes de production et d'élaboration comme faisant partie intégrante de cet air de famille. Ça éviterait les batailles de familles qui sont souvent bien fratricides.
C
Bonjour,<br /> Sans doute n'ai-je pas été assez précis. Dans la notion d'air de famille, on peut mesurer qu'il y a un nez, deux yeux, des cheveux de telle couleur, une forme de menton, etc... Pris séparément, aucun ne permet de reconnaitre le &quot;type&quot; de visage. Mais la perception globale de ces critères le permet. Mais d'une part, leur importance relative est variable selon les évaluateurs, ce qui fait que vous ressemblez pour l'un à votre mère, à l'autre à votre père, et leur perception globale est variable, qui permet pour l'un que vous êtes de la famille untel, pour l'autre de type caucasien par exemple. Il en est de même pour les vins. Si l'on sait mesurer beaucoup de composés du vin, outre que certains nous soient encore inconnus, la simple mesure n'est pas suffisante pour identifier le type. Il manque aux appareils une perception globale que notre cerveau réalise. Quand à l'âme et la personnalité, vous êtes le seul à en &quot;partager&quot; la perception. McLeod ne m'aurait pas contredit là dessus. <br /> Cependant, je pense que vous mélangez différents concepts. Mon objet est d'étudier ce que représente la notion de typicité, non pas du point de vue sensoriel, biochimique ou autre, mais d'en comprendre le concept pour démontrer qu'il existe à défaut d'être capable de le quantifier.
C
Je ne souhaite pas revenir sur les conclusions des travaux de l'ESA, sinon pour dire que les vins avaient été préalablement présélectionnés, ce qui peut avoir un impact sur les résultats de l'étude.<br /> Je souhaite juste revenir sur le paradoxe de l'AOC, qui veut que les vins soient &quot;typiques&quot;, donc reconnaissables, mais également divers. Dans un monde très normatif, ce ne peut pas être les deux. Soit les vins sont reconnaissables, notamment d'un point de vue sensoriel, et alors il convient d'en définir les critères (cf. cahier des charges européens des AOP), soit ils sont divers, et la notion d'AOC n'est qu'une IGP, au sens ou seule la provenance est garantie. Eh oui, l'AOC doit être protégée car elle incarne ces deux notions, que j'appelle l'air de famille. Tous sont différents, mais chacun partage un ensemble de critères. 1/ Ensemble de critère n'est pas somme de critères, mais une certain nombre de critères, qui mis ensembles, font un tout, chaque critère pris individuellement ne représentant rien. 2/ la reconnaissance de l'air de famille est liée au niveau de proximité du juge: plus je suis évalué par quelqu'un qui connait bien ma famille, plus il sera précis ou affirmatif dans son jugement pour me positionner comme faisant partie ou non de ma famille (remplacez le vin par vous même, et posez vous la question: qui est susceptible de dire que vous êtes &quot;famille Untel&quot;, sinon quelqu'un qui as connu vos frères, vos parents, vos grands oncles, etc...). 3/ les critères d'appartenance et de distinction, sont différents selon les juges (ceux qui ont connus mon arrière grand mère disent que je ressemble à ma mère, et ceux qui ont connu mon arrière grand père disent que je suis le portrait de mon père, et pourtant, je ne suis qu'un et j'appartiens bien à ma famille. ouf!).<br /> Ce paradoxe est plutôt le fondement même de l'AOC. Défendons le, affirmons la diversité, et refusons la normalisation, contraire à la notion d'AOC. Vous pourrez critiquer ces positions, mais ce sont celles que je vois, objectivement, et que je publie dans de nombreuses publications scientifiques internationales.<br /> Yves Cadot
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E
Bonjour Yves, enchantée de vous voir par ici... :-)<br /> Ce n'est pas moi qui vais contester vos propos que je partage grandement...<br /> Aujourd'hui je me dis que l'INAO devrait être réformé comme tant de choses dans ce pays.. Au plaisir Emilie
D
Félicitation pour la limpidité de vos propos<br /> face à un sujet difficile, noyé dans les controverses.
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Y
Votre analyse et vos questions sont très pertinentes. Je tente depuis quelques années d'étudier la relation entre terroir et typicité, et de comprendre comment la diversité, au sein d'une zone,<br /> n'est pas contraire à l'unité du cru. En d'autres termes, qu'est-ce qu'un air de famille? Pourquoi certains vins, différents, semblent malgré tout unis par une même origine? Par ailleurs, je montre<br /> également que comme nous ne sommes pas égaux, physiologiquement et culturellement, les critères d'appartenance ou de distinction peuvent varier selon les individus. Qui n'a jamais été confronté à<br /> ce terrible dilemme : "comme tu ressemble à ta mère? dis l'un; Ah non, dis l'autre je trouve que tu ressemble à ton père..." Et pourtant, je ne suis qu'un!
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